Un article d’Alexandra Turpin, publié avec l’aimable autorisation d’AEF
Pour Eulalie Bué et son référent, le CEJ est un dispositif utile et adapté. Mais tous les deux insistent sur l’importance de ne pas imposer des heures d’activités. « J’aime la confiance, nous ne sommes pas fliqués », explique Eulalie. « Nous rendons le jeune responsable », commente Eric Delaunay, responsable de secteur au sein de la Mission Locale.
« Pour cette semaine, j’ai validé la formation personnelle chaque jour, l’atelier d’aujourd’hui à la Mission Locale, notre entretien et la visite chez le vétérinaire », récapitule Eric Delaunay. Ce responsable de secteur au sein de la Mission Locale de Rambouillet vient de faire le point avec Eulalie Bué, 22 ans, qui a signé un CEJ (contrat d’engagement jeune) fin 2023.
Voulu par Emmanuel Macron, ce contrat a été lancé en mars 2022 en remplacement de la Garantie jeunes mise en œuvre par les Missions Locales et de l’AIJ (accompagnement intensif jeunes) proposé par Pôle emploi. Il concerne les jeunes qui ne sont pas étudiants, ne suivent pas une formation et ne sont pas en emploi. Et repose sur un programme intensif, avec 15 à 20 heures d’activités par semaine. Le CEJ a été cité en exemple par le gouvernement pour inspirer le nouvel accompagnement des allocataires du RSA et de l’ensemble des chômeurs, dans le cadre de la réforme « France Travail ».
« C’est souple donc c’est motivant »
Lorsqu’elle a entendu parler du CEJ, Eulalie Bué s’est questionnée sur ces heures d’activités. « 15 heures, cela peut sembler vite cumulé mais à l’inverse, il peut aussi y avoir des manques », raconte-t-elle. Elle a été rassurée par la Mission Locale. « Bien sûr, quand je fais les courses, cela ne compte pas ! Mais quand je me forme ou que je vais au musée, cela compte. C’est souple donc c’est motivant. »
Eulalie Bué aimerait vivre de sa passion, l’écriture. Elle a déjà publié un recueil de nouvelles et son premier roman, « La folle histoire de Coralie », est en précommande aux Éditions « La Compagnie Littéraire ». En attendant, elle va concrétiser un autre projet professionnel qui lui tient à cœur : celui de devenir thanatopractrice. Elle a déjà observé, pendant une journée, des soins auprès d’une professionnelle et va renouveler l’expérience. Eulalie Bué a aussi repéré une école qui l’intéresse à Angers (Maine-et-Loire). Elle se forme, elle-même, pour être acceptée dans cette formation sélective. Le soir, elle déclare donc sur l’application CEJ les heures passées à étudier.
« Les jeunes doivent être acteurs »
Lors de l’entretien, son conseiller, Eric Delaunay lui propose un job dating avec Intermarché et la Fnac. « Il faut venir à 10 heures avec un CV », détaille-t-il. « Est-ce cumulable avec le CEJ ? », lui demande Eulalie Bué. « Oui, répond le conseiller. Les heures de travail seront comptées comme des heures d’activités et l’allocation sera recalculée. L’idée est de gagner de l’argent pour payer ta formation. » L’école de thanatopracteur coûte en effet 3 500 euros. À ce stade, il n’y a pas de prise en charge prévue pour couvrir ce montant par des dispositifs nationaux ou régionaux.
Eulalie Bué est partante pour le job dating, d’autant que la Fnac a un lien direct avec le monde littéraire. Pour elle, il était essentiel de ne pas être contrainte d’assister à tel ou tel évènement. « On ne m’impose pas des activités. C’était important pour moi car j’avais le souvenir de l’école où on nous impose des cours », explique Eulalie Bué. Elle a arrêté ses études à 17 ans, après une scolarité compliquée.
Son conseiller, Eric Delaunay, a la même lecture. « Nous avons enlevé les obligations. Les jeunes doivent être acteurs de leurs parcours. Le but n’est pas de les positionner sur des ateliers pour qu’ils atteignent les 15 heures. Ce ne serait intéressant pour personne », déclare-t-il.
« Très différent de la Garantie jeunes »
Selon lui, la démarche est donc très différente de ce qui se pratiquait avec la Garantie jeunes. L’ancien dispositif comprenait un sas, avec une période collective obligatoire. « Nous avions des problèmes de jeunes qui dormaient ou sortaient leur téléphone. Nous n’avons eu aucun problème de posture depuis la mise en place du CEJ », raconte-t-il.
Ces 15 heures ne sont pas, d’après le conseiller, difficiles à atteindre. D’autant que certaines durées sont standardisées. Un atelier compte ainsi pour quatre heures même s’il ne dure que trois heures par exemple.
« L’idée est bien sûr de travailler sur le projet professionnel mais nous validons d’autres activités aussi. Tout ce qui conduit à sortir de chez soi, tisser du lien social, accéder à la culture », souligne le conseiller. Aller au cinéma compte dans les heures d’activités même si, évidemment, il ne s’agit pas « d’y aller tous les jours ».
« Une charge administrative importante »
Pour certains jeunes toutefois, la marche reste haute. Par exemple en début de parcours. « Au démarrage, on peut être sur huit heures hebdomadaires, on essaie de trouver des solutions. On y va crescendo », explique le conseiller. Les difficultés peuvent également survenir pendant le parcours, que ce soit pour des raisons personnelles, de famille, de santé… « Je leur demande de nous prévenir et nous leur répondons de ‘ne pas lâcher’. Nous avons peu de sanctions », avance Eric Delaunay.
En revanche, pour les conseillers, le dispositif représente « une charge administrative importante », précise le responsable de secteur : « Il faut positionner les jeunes sur les ateliers, regarder les heures »…
Atelier consacré à la gestion du temps
Avec la mise en place du CEJ, la Mission Locale a fait évoluer son offre de services et ses ateliers, proposés par les conseillers ou les partenaires. Ce vendredi 12 janvier 2024, Eulalie Bué suit ainsi un atelier consacré à la gestion du temps et des priorités.
Les deux coachs sont membres de l’EMCC (Conseil international du coaching, du mentorat et de la supervision), qui développe le coaching solidaire. Ils ne sont donc pas rémunérés pour cette matinée.
Les jeunes présents ont pour objectif professionnel de travailler ou de reprendre une formation. « Travailler c’est un but mais on ne peut pas le caser dans un agenda. Derrière il y a faire un CV, chercher des offres, candidater, passer des entretiens… », explique Aurélie Struzynski, coach professionnel. Elle propose donc aux jeunes de chercher les tâches qui correspondent à leurs projets.
Pour Eulalie Bué par exemple, il s’agit d’être acceptée dans l’école de thanatopracteur qu’elle a repérée. Cela implique de réviser « car il y a beaucoup de connaissances à avoir en anatomie », déclare la jeune femme. « Il faudra aussi faire le dossier d’inscription, préparer l’entretien », ajoute Aurélie Struzynski.
« Il faut se bloquer des créneaux »
Ensuite, les participants sont invités à classer les tâches. Quel est l’enjeu ? Est-ce facile ou difficile ? Est-ce que j’aime cette tâche ou non ? Est-ce qu’elle dépend de moi ou non ? Au quotidien, cela doit aider les jeunes à faire du tri. Tous les jours, ils peuvent ainsi accomplir en priorité des tâches accessibles et directement reliées à leurs objectifs.
« Une tâche difficile mais importante doit être positionnée dans l’agenda. Il faut se bloquer des créneaux pour la réaliser, à un moment où vous vous sentez bien », recommande la coach. « Quand on fait une tâche difficile, il arrive qu’on se rende compte que ce n’était pas si dur. Cela renforce la confiance en soi », complète Jean-Claude Paquien, également coach professionnel.
Les deux bénévoles donnent aussi des conseils pour ne pas se laisser distraire. Les jeunes présents déclarent, en effet, avoir parfois du mal à lâcher leur téléphone ou à refuser les sollicitations de leurs amis. « S’il y a des notifications, des bips de votre téléphone, vous allez être déconcentrés. Il faut couper les notifications », demande ainsi Aurélie Struzynski.
« Cela casse les préjugés »
La coach recommande aussi aux jeunes de ne pas « surcharger le planning » : « il faut se laisser du temps de pause, des récompenses », conseille-t-elle. Cette remarque parle à Eulalie Bué : « Je vais réorganiser mon emploi du temps. Je l’avais tellement chargé que parfois j’étais en mode flemme. »
Aurélie Struzynski est rassurante : « Vous allez mettre en place des choses. Cela va fonctionner ou moins. Vous allez le faire un moment puis ne plus le faire. C’est normal. Pour qu’une habitude devienne automatique, il faut 21 jours », note-t-elle.
Les deux coachs se montrent très enthousiastes sur leurs sessions en Mission Locale. « Ce coaching solidaire est complémentaire avec mon activité dans le monde de l’entreprise. Nous voyons le début, les jeunes et tout le potentiel qu’ils ont à offrir au monde de demain », explique Aurélie Struzynski. « Cela casse les préjugés. On sent beaucoup d’énergie », souligne Jean-Claude Paquien.