Crédit image à la « Une » : ARML Océan Indien (comité de pilotage régional sur le décrochage scolaire, décembre 2024)
Comment l’ARML travaille-t-elle avec l’Education nationale ?
Marie-Andrée Pota : A La Réunion, l’ARML entretient des relations de proximité avec l’Education nationale, le Rectorat et les Centres d’information et d’orientation (CIO). Nos principaux interlocuteurs sont le Chef de la délégation régionale académique à l’information, à l’orientation et à la lutte contre le décrochage scolaire et le coordonnateur académique de la Mission de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS), également correspondant Décrochage scolaire et référent Obligation de formation.
Nous organisons des rencontres régulières en amont et en aval du comité de pilotage régional. Celles-ci nous ont permis de définir conjointement les feuilles de route 2025 dans un objectif d’amélioration continue des processus et des relations.
Lee-ing Yang-Ting : L’activité de l’ARML Antilles-Guyane étant récente, l’année 2024 a été la première année de mise en œuvre du programme d’animation. La collaboration avec l’Education nationale va se faire prochainement. Toutefois, l’ARML a animé un groupe d’échanges de pratiques avec les référents des Missions Locales en charge du suivi de l’Obligation de formation. Alors que certains territoires disposent déjà de structures opérationnelles et de partenariats bien établis avec les acteurs locaux (Education nationale, collectivités, services sociaux, associations), d’autres peinent à mettre en place des dispositifs fonctionnels somme les PSAD. Les territoires bénéficiant d’un ancrage partenarial solide réussissent mieux à coordonner les actions.
Quels sont les enjeux spécifiques pour les jeunes mineurs des territoires ultramarins ?
L-I Y-T : Les jeunes mineurs des territoires ultramarins sont confrontés à des défis spécifiques qui rendent leur accompagnement particulièrement crucial. Parmi les principaux enjeux, on peut citer tout d’abord la question de l’isolement géographique et des difficultés d’accès à la formation. Dans les Antilles et la Guyane, certains territoires sont éloignés des centres urbains, ce qui complique l’accès aux établissements scolaires, aux centres de formation et aux entreprises susceptibles d’accueillir des jeunes en apprentissage.
De plus, la situation économique de ces territoires est marquée par un taux de chômage élevé, en particulier chez les jeunes. L’insertion professionnelle est donc un défi majeur, nécessitant des dispositifs d’accompagnement renforcés et une meilleure coordination entre les différents acteurs de la formation et de l’emploi.
Un autre enjeu important concerne la précarité sociale et les inégalités d’accès à l’éducation. De nombreux jeunes issus des territoires ultramarins rencontrent des difficultés scolaires et sociales, souvent aggravées par des contextes familiaux fragiles. Le décrochage scolaire y est plus fréquent qu’en métropole, ce qui renforce la nécessité d’un accompagnement adapté, dès le plus jeune âge, pour éviter l’exclusion du système éducatif et professionnel.
Enfin, la mobilité constitue un défi majeur. De nombreux jeunes ultramarins doivent envisager de quitter leur territoire pour poursuivre des études ou accéder à un emploi, ce qui peut être un frein pour certains d’entre eux. L’accompagnement à la mobilité est donc un enjeu clé pour faciliter leur insertion professionnelle et leur permettre d’accéder à des opportunités qu’ils ne trouvent pas localement.
Pour finir, le contexte social souvent agité, impacte également les jeunes mineurs, qui peuvent commettre des délits lors des mouvements sociaux comme cela a été le cas récemment en Martinique. Nous devons agir, dans la mesure du possible, pour éviter la récidive.
Les mineurs accompagnés présentent des profils variés : jeunes en rupture scolaire, en difficulté familiale, ou confrontés à des problématiques sociales et économiques. Ils exigent un accompagnement singulier adapté à chaque situation. Les Missions Locales mettent en place des solutions spécifiques et développent des stratégies pour mieux les accompagner.
M-A P : Les Missions Locales de La Réunion accueillent chaque année près de 6000 nouveaux décrocheurs dont 75% sont mineurs. Souvent, ces jeunes, et de façon plus marquée pour ceux en milieu urbain, ont arrêté leur parcours scolaire pour des raisons liées à leur orientation ou à des difficultés sociales. Deux études sont actuellement en cours localement afin d’identifier et de comprendre les causes du décrochage, puis d’évaluer la plus-value de l’accompagnement proposé par les Missions locales.
C’est un réel défi qui se pose aux Missions Locales que d’accueillir et accrocher des jeunes qui, à la suite de leur déscolarisation, voudraient une solution immédiate, et ce, sans en posséder ni les codes, ni les compétences. L’enjeu de réussir ce premier accueil pour établir une relation jeune-conseiller devient alors capital au risque de perdre le contact avec ces jeunes en situation de décrochage.
Un contenu spécifique d’un cadre proposé, d’altérité, de prise en charge individuelle et de définition du projet pour répondre à l’Obligation de formation se pose. On peut même parler d’Obligation de solution.
Les actions expérimentées telles que Tip Top Challenge et Reelife à destination des mineurs décrocheurs et portées par les Missions Locales (en alternative à la promo 16-18 qui ne pouvait être déclinée dans les DOM du fait de l’absence de l’AFPA) ont montré la nécessité pour ces jeunes d’avoir un accompagnement spécifique qui permet d’être à leur écoute, de les remotiver et de reprendre confiance en eux. Les actions telles que la découverte des métiers permettent de leur donner envie de se remettre dans une dynamique apprenante. Ces deux programmes ont fonctionné de façon remarquable, à la fois en termes de résultats mais également dans l’approche partenariale et territoriale mise en œuvre.
Cette démarche est indispensable pour ce public et est à mener avant toute orientation vers les dispositifs de droit commun, sous peine de favoriser de nouvelles situations d’échec, de rupture de parcours ou encore de frustration. Il est très regrettable que ces deux actions soient aujourd’hui arrêtées (appel à projet spécifique aux territoires ultramarins non renouvelé au terme de celui-ci). Cela pose aussi la question de l’équité d’accès des jeunes mineurs ultramarins aux mesures nationales car la promo 16-18 s’est poursuivie dans l’hexagone. Cela oblige les Missions Locales à se questionner pour proposer un accompagnement spécifique, dans un contexte budgétaire impacté. Elles restent aussi dans l’attente d’une nouvelle déclinaison de cette action qui constitue un véritable tremplin pour ces jeunes.
Avec quels dispositifs co-accompagnez-vous les jeunes avec l’Education nationale ?
M-A P : A La Réunion, les Missions Locales portent les Plateformes de suivi et d’appui aux décrocheurs (PSAD), cofinancées par le Fonds social européen (FSE) et par l’Etat. L’ARML anime le dispositif avec le soutien financier de la Région. De ce fait, avec nos partenaires des CIO et de la MLDS, nous mettons en œuvre des actions relatives au décrochage scolaire, à l’Obligation de formation, au Parcours Ambition Emploi et au dispositif Tous Droits Ouverts. Le dispositif Avenir pro n’est pas encore déployé à la Réunion.
Dans le cadre des retours en formation initiale, nous entretenons des rapports étroits avec la MLDS et l’ensemble des établissements scolaires. Nous sommes aussi en contact avec les acteurs du « cercle II » tels que les collectivités, les Centre de formation d’apprentis (CFA), les Ecoles de la 2e chance (E2C), etc…
L-I Y-T : Les Missions Locales interviennent de plus en plus régulièrement au sein des établissements scolaires afin de prévenir les ruptures. L’Obligation de formation a permis de renforcer la collaboration et de formaliser le partenariat. Les forums métiers et les actions autour de l’accompagnement à l’emploi sont les actions les plus expérimentées. Les dispositifs Tous droits ouverts et Ambition Emploi sont déjà déployées dans plusieurs établissements scolaires permettant une proximité avec les jeunes. Avenir Pro a également été expérimenté dans certains établissements de Martinique avec des résultats encourageants.
Les territoires ultramarins sont toutefois en difficulté car les solutions sont limitées. En effet, l’AFPA n’étant pas sur nos territoires, le dispositif promo « 16-18 ans » n’a pas été mis en place. Une alternative avait été proposée sous forme d’appel à projet mais qui a pris fin en 2023.
Selon vous, comment renforcer ce partenariat entre les Missions Locales et l’Education nationale ? Quelles sont les pistes d’amélioration ?
M-A P : Les acteurs partagent le constat qu’une collaboration étroite est efficiente dès lors qu’elle repose sur une approche collégiale et une relation de confiance entre les acteurs.
Ce partenariat étroit nécessite des rencontres régulières entre les différents acteurs. Il se bonifie par le travail commun accompli et par l’organisation d’actions communes telles que des temps thématiques, des conférences de presse ou par la production d’outils communs.
L-I Y-T : Pour améliorer l’efficacité du partenariat entre les Missions Locales et l’Éducation nationale, plusieurs pistes peuvent être envisagées. Tout d’abord, il serait pertinent de renforcer le repérage des jeunes en difficulté dès les premières années de lycée, afin d’agir en amont et de prévenir le décrochage scolaire avant qu’il ne s’installe et que le jeune ne soit plus identifié.
Un meilleur partage des informations entre les établissements scolaires et les Missions Locales pourrait faciliter ce travail et permettre un suivi plus individualisé de ces jeunes. Les Missions Locales doivent être identifiées par l’Education nationale comme un partenaire à mobiliser dans la construction du parcours.
Ensuite, une meilleure coordination des acteurs de terrain permettrait de fluidifier le parcours des jeunes et d’éviter les ruptures dans leur accompagnement.
Les parcours atypiques pouvant allier période en milieu scolaire, participation à des ateliers en Mission Locale et immersion en entreprise pourraient avoir un effet bénéfique sans que le lien ne soit rompu avec l’Education nationale. Le retour du jeune en classe doit pouvoir être assuré.
Enfin, une meilleure communication sur les dispositifs existants et les expérimentions réussies permettrait d’encourager davantage de jeunes à s’engager dans les parcours proposés. Des campagnes d’information ciblées, menées conjointement par l’Éducation nationale et les Missions Locales, pourraient aider à sensibiliser les jeunes et leurs familles aux différentes solutions qui s’offrent à eux.
« Seule une interconnaissance fine de chaque partenaire permet une intervention complémentaire et en synergie » – Thierry Lextrait, coordonnateur académique de la Mission de lutte contre le décrochage scolaire à la Réunion
A titre d’exemple, la MLDS, l’ARML et les Missions Locales ont coconstruit le cadre d’intervention du parcours Ambition Emploi, qui est désormais validé au niveau académique. Le déploiement du dispositif a permis un travail partenarial resserré entre les Missions Locales et les établissements scolaires.