Publié le 29/10/2024
Bonjour Guillaume. Peux-tu te présenter et nous rappeler ton implication dans le réseau des Missions Locales ?
Je suis maître d’enseignement à la Haute École de Gestion de Genève, Docteur en sciences politiques. Je suis aussi diplômé en linguistique. J’ai un large intérêt pour les questions de sciences du langage et de philosophie politique. Je suis aussi spécialiste du revenu d’existence. Et à côté, je suis Maire d’une commune depuis 16 ans en Haute-Savoie. Je partage ma vie entre la philosophie politique et la politique.
Mon implication dans le réseau des Missions Locales, elle s’est faite dans un premier temps de manière très simple en tant que Maire. On a développé beaucoup de choses avec la Mission Locale du Genevois. On était dans une commune où il y n’avait pas vraiment de politique par rapport à la jeunesse, ça nous a permis d’améliorer l’analyse et de faire le lien avec la jeunesse. Et puis je suis impliqué auprès de l’Institut Bertrand Schwartz depuis deux ans, sur le côté recherche comme expert dans le Collège 4 pour l’Institut Bertrand Schwartz. Ce qui est un véritable plaisir.
Dans tes fonctions professionnelles mais aussi institutionnelles, quelle est la place de la participation ?
Alors, j’ai un problème avec la participation. Il y a tout une partie de la participation qu’on ne voit pas, de laquelle on ne parle pas et qui se fait assez naturellement.
Et puis il y a aussi toute une participation qui est de façade. En politique, on met en place plein de choses, mais on se rend compte qu’on est toujours devant les mêmes publics. Aujourd’hui, j’essaie d’être critique par rapport ça. La participation, c’est intéressant, mais ça dépend de la finalité des intentions qu’on a.
Et, à mon sens, la meilleure manière de faire de la participation c’est d’encourager les organisations expertes en participation. Les Missions Locales en font partie. C’est dans leur ADN.
Autrement dit, les institutions doivent rester ouvertes à l’implication des publics en travaillant en collaboration avec ces organisations expertes du sujet. C’est ce que tu veux dire ?
Oui. En fait, c’est vraiment le point central. Encore une fois, c’est une question d’intentionnalité, c’est-à-dire « pourquoi on veut faire participer ? ». Les institutions arrivent quand même à faire de la participation mais c’est souvent quand elles ne le disent pas qu’elles le font le mieux. Les Missions Locales n’ont pas les mêmes objectifs et donc pas la même intentionnalité que les institutions politiques.
Pour en revenir à la notion d’intention que tu avais mise en miroir avec celle d’échelle pendant le GT élu·es de la Recherche-action Participation, peux-tu nous en parler un peu plus ?
La question de l’intentionnalité, ce n’est pas quelque chose de nouveau, bien évidemment. L’intentionnalité c’est avant tout une question de but. C’est-à-dire « qu’est-ce que l’on souhaite faire ? », « comment ça se cadre par rapport à nos valeurs ? ».
Aujourd’hui, on a tendance à se retrouver avec des échelles territoriales qui sont complètement brisées. Des jeunes qui se retrouvent sur un territoire, en galère. Ils se sentent un peu seul·es, un peu isolé·es. Et dans le même temps, il y a une explosion de l’échelle parce qu’ils sont ultra connecté·es au monde à travers les réseaux sociaux notamment. Ce grand écart fait qu’en tant qu’individu, on se sent en même temps surpuissant mais on finit quand même tout seul.
Je crois que c’est quelque chose sur lequel on doit porter notre regard. En ça, les Missions Locales sont vraiment le lieu idéal parce que les jeunes se retrouvent entre eux et font état de leur réflexion sur leurs jeunesses. Mais aussi parce qu’ils se retrouvent confrontés à des adultes qui les comprennent.
Comme tu l’as dit, l’intention et l’échelle sont des notions traitées en sciences humaines et sociales. Dans le contexte opérationnel, qui doit se poser la question de ses intentions ?
Tout le monde. Et si on essayait de faire un peu le tour de ces parties prenantes. Le jeune doit se poser la question de son intention quand il vient à la Mission Locale ou quand il n’y va pas : « pourquoi je viens à la Mission Locale, qu’est-ce que je veux y trouver ? ». C’est important aussi pour les acteurs·rices de la vie sociale. Alors il peut y avoir celles et ceux qui travaillent en Missions Locale. C’est-à-dire qu’on ne s’engage pas dans une Mission Locale comme dans un autre emploi. Mais aussi, de manière plus large, la communauté politique. en tant qu’élu·es on ne s’engage pas en Mission Locale comme sur n’importe quel mandat. En Mission Locale, nous les élu·es, on a cette obligation de prendre ce recul. L’élu·e local·e doit se placer comme facilitateur.
Cette intention, elle doit être initiale. Cela peut paraître un peu trop philosophique, c’est simplement la question de vouloir : « Qu’est-ce qu’on veut construire ensemble ? Est-ce qu’on a envie de faire bouger cette société ? ».
Il y a des modes de participation différents, qu’il faut comprendre, qu’il faut analyser, qui ne sont pas toujours simples ou plus rapides, mais qu’on doit prendre réellement au sérieux. Il faut retrouver une forme d’intentionnalité dans notre manière de communiquer, dans notre manière de recevoir l’information. Il faut accepter l’écoute et la controverse aussi. Finalement, il faut accepter de recréer du débat. Il faut que les mondes se rapprochent. En Mission Locale, on ne peut pas juste être des guichetiers du social.
Comment est-ce que les professionnel·les au sein des Missions Locales peuvent se saisir de cette notion d’intention ?
Il faut qu’il y ait des outils et qu’ils puissent être présentés aux professionnel·les et aux élu·es. C’est-à-dire qu’on n’ait pas l’impression que la participation c’est quelque chose qui tombe du ciel. Je pense qu’il est important d’avoir des espaces de réflexion individuels et collectifs entre pairs comme on l’a avec les Groupes de Travail de la Recherche-Action. L’Institut Bertrand Schwartz arrive à opérer ce pas de côté nécessaire et à ces espaces de réflexivité là où on en a besoin.
Donc, les Missions Locales peuvent être une échelle où travailler cette intention. Mais au-delà de l’intention à (faire) participer, c’est aussi une histoire de citoyenneté, non ?
C’est une histoire de citoyenneté, c’est un apprentissage de la citoyenneté. Quand on prend la parole, qu’on articule quelque chose et qu’on se met dans un projet qui est tourné vers l’autre, on est citoyen. C’est une manière de participer à la vie la cité. Donc les Missions Locales, au niveau de l’échelle, sont de bonnes échelles parce que ce sont des échelles de proximité. C’est une échelle où on aborde la globalité et pas uniquement la question du travail. D’autant plus que ça peut être une échelle d’expérimentation, parce qu’il y a autant d’actions en Mission Locale qu’il y a de personnes accueillies. Elles sont des lieux où on peut tenter des choses, des lieux où on peut se planter collectivement, mais où on peut rebondir collectivement aussi.
Les jeunes ont quand même besoin de se rencontrer, de faire des choses ensemble, de discuter ensemble. Mais nous pourrions penser que c’est contraire à une réflexion très théorique sur cette notion d’intention.
Pour moi, la philosophie se pratique à ce niveau-là. D’une certaine manière tout ce qui a été dit sur le travail, l’argent et l’amour lors des Rencontres Nationales, ce sont des questions intimement philosophiques. À partir du moment où l’on cherche le sens des mots, on fait de la philosophie.
La question que je poserais c’est « pourquoi vous avez envie de vous rencontrer ? ». Je suis sûr que tout le monde est capable de dire pourquoi. Et même si la réponse est la plus simple du monde en disant « parce que je suis un peu tout seul chez moi, j’ai envie de discuter », c’est déjà gagné.
Selon le philosophe Austin dans son livre Quand dire, c’est faire : quand on dit quelque chose, on agit sur les choses. Le dire, c’est l’extériorisation de notre pensée. Et c’est une logique conversationnelle. Quand on converse, c’est bien au-delà de la communication, c’est-à-dire qu’on va en échange. Il ne faut pas craindre de se confronter à ceux qu’on ne comprend pas forcément. Il faut apprendre à concéder aussi pour trouver les bons terrains d’entente. C’est ce terrain d’entente conversationnel qui est important. Je pense que les Missions Locales sont le lieu de la rencontre, pour arriver à avoir ces définitions communes.
L’Institut Bertrand Schwartz avec le réseau se lance dans ce 2nd cycle qui s’intitule « Réduire la distance entre l’intention et l’action ». Est-ce que tu aurais un dernier mot ?
Passer à l’action nécessite cette réflexivité-là. Ça nécessite aussi d’avoir la possibilité de l’exprimer. C’est un triangle vertueux sur lequel il faut toujours travailler : penser les choses et les dire pour agir ensemble.
Très bien. Ça nous éclaire sur cette notion d’intention et sur son impact sur l’action. Merci beaucoup Guillaume !